Le Soleil
Actualités, lundi 25 octobre 2004, p. A8
Une permission pour fumer
L'école secondaire l'Aubier a instauré un audacieux programme pour remettre ses jeunes sur le chemin de la santé
Par Violaine Ballivy
Bannie officiellement à l'intérieur des murs des établissements scolaires, la cigarette est encore omniprésente dans les cours d'école et 22 % des Québécois de 15 à 19 ans y sont accros. Aux grands maux les grands moyens, la direction de l'école secondaire de l'Aubier, à Saint-Romuald, a instauré un audacieux programme pour remettre ses jeunes sur le chemin de la santé. Ici, pour en griller une, il faut maintenant détenir une permission spéciale portant la griffe de papa ou maman.
Implantée en septembre, la mesure porte déjà ses fruits. De la centaine de fumeurs dénombrés l'an dernier, il n'en resterait plus que 25 environ cette année, sur un total de près de 900 élèves. "Bien sûr, les élèves qui n'ont pas leur permis peuvent aller fumer plus loin, à l'extérieur du territoire de l'école, admet la directrice de l'établissement, Lucy la Rochelle. "Mais les élèves n'ont pas le temps de le faire pendant les pauses. Alors on sait qu'à tout le moins, les jeunes ont réduit leur consommation."
La zone fumeur de l'école - même si la cigarette est réservée aux plus de 18 ans, la quasi-totalité des établissements du Québec possèdent un fumoir informel, extérieur, toléré par la direction - a aussi été restreinte à une petite cour arrière où il est plus facile de contrôler les élèves.
Marie-Josée Lachance, une étudiante de deuxième secondaire, avoue avoir coupé des deux tiers sa consommation de tabac depuis ce changement. "Avant, c'était un réflexe, on allumait toujours une cigarette quand on arrivait à l'école ou entre les cours et je passais presque un paquet par jour. Maintenant, il faut se déplacer jusque dans la petite cour, où on n'est pas protégés de la pluie... C'est pas mal moins le fun."
Certains élèves ont évidemment protesté, criant à la violation de leur liberté, mais la réaction générale semble très bonne. "Avant, il fallait traverser un nuage de boucane chaque fois qu'on entrait dans l'école, raconte Lindsey Hardy Racine, 14 ans. C'était vraiment désagréable."
L'infirmière de l'école, Nicole Rochon, a aussi remarqué que le nombre de demandes d'information sur les traitements pour se libérer de la nicotine a augmenté en flèche.
À mort la malbouffe
Cette nouvelle réglementation s'inscrit dans un vaste programme de remise en forme et de sensibilisation aux bonnes habitudes alimentaires mis en place cette année par la direction. Plusieurs comités d'action santé ont été mis sur pied et on a établi un partenariat avec le CLSC le plus proche pour assurer un meilleur suivi de la condition physique des élèves.
Le menu de la cafétéria a été entièrement révisé et celui de l'an dernier, rivalisant en gras saturés et en sucres avec celui des rois de la malbouffe, jeté à la poubelle. Les croquettes et les frites, offertes tous les jours ont disparu en même temps que les croustilles et les tablettes de chocolat, quand la direction a engagé une ancienne cuisinière du Ritz Carleton, Odette Léger.
La métamorphose est beaucoup plus téméraire qu'il n'y paraît. Un menu sain, avec des fruits et des légumes frais, réduit en lipides et en sucres raffinés, coûte beaucoup plus cher qu'un hot dog vapeur. Sans compter qu'il est nettement moins attrayant pour les élèves, souvent allergiques au mot "santé".
"L'an passé, il y avait toujours des files monstres à la cafétéria. Maintenant, c'est presque vide. Il n'en reste plus que le vendredi, le jour de la poutine" remarque Luc Miville, 13 ans.
La direction a décidé de ne pas hausser le coût d'un repas complet, gelé à 4 $, mais est confrontée à un déficit hebdomadaire de 1500 $. Pour faire ses frais, il faudrait écouler 200 repas par jour, mais à peine la moitié le sont actuellement. "Ce n'est pas in de manger santé", déplore Mme la Rochelle.
La moue d'étudiants rencontrés sur place l'atteste. Philippe Croteau dit qu'il a eu un peu de mal à se faire à l'idée de manger des légumes tous les jours. "La nourriture est bonne, mais on n'y est pas habitués".
La compétition est aussi très forte. Deux épiceries, un casse-croûte et plusieurs chaînes de restauration rapides ont pignon sur rue à quelques minutes à pied de l'école. "Comment voulez-vous que je rivalise avec le restaurant d'en face qui offre des sous-marins à 99 ¢ le mardi ?" demande la directrice, inquiète de voir ses efforts vains. "La situation doit changer rapidement. Je ne peux pas finir l'année avec un déficit de 50 000 $"
Sa meilleure arme est encore de convaincre les jeunes de l'importance de leur santé. L'école envisage entre autres la projection du documentaire Super Size Me, qui démontre les effets pervers de la malbouffe et de mieux informer les jeunes filles complexées par des kilos superflus des bénéfices d'une alimentation équilibrée.
Enfin, il faudra songer à revoir l'entente exclusive signée avec Coca-Cola lorsqu'elle arrivera à échéance. Car même si elle permet de financer l'équipe de football de l'école, la direction d'école ne peut nier que les boissons gazeuses ne s'inscrivent pas tout à fait dans un plan d'amélioration de la condition physique.
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Le Soleil
Arts et Vie, mardi 26 octobre 2004, p. B3
"Cool", la cigarette?
Par Julie Lemieux
L'école ne demande pas la permission des parents pour interdire le port de gilets bedaine ou la consommation d'alcool dans sa cour. Elle l'interdit, un point c'est tout. Et elle se fout bien qu'un parent soit d'accord avec l'idée de permettre à son jeune de fumer du hasch en classe ou de s'habiller sexy. "Par la présente, je donne la permission à mon fils de boire une bière à 16 h et de contrevenir à toutes vos règles..." Ça ne tiendrait pas debout. Alors pourquoi tombe-t-elle dans la complaisance et le non-sens quand vient le temps de coller à des principes de base et de bannir complètement la cigarette ?
L'école secondaire de l'Aubier, à Saint-Romuald, a l'impression d'être audacieuse en exigeant que les jeunes aient la permission de leurs parents afin de fumer devant sa porte. À mon avis, c'est tout le contraire. Être audacieux impliquerait d'interdire carrément la cigarette à l'intérieur comme à l'extérieur de l'école. Pas de refiler aux parents la responsabilité de décider s'il est bon et beau de fumer entre les cours. De toute façon, depuis quand la cigarette est-elle permise aux moins de 18 ans ? Je croyais que les écoles secondaires ne toléraient pas la boucane depuis longtemps...
On sait pourtant tout ce qu'il y a à savoir sur l'effet nocif de la cigarette. On a tout vu ça en détail sur les paquets. On sait que c'est une dépendance qui exige des efforts incroyables pour être combattue. On sait que la fumée peut tuer celui qui l'inhale et celui qui a le malheur de vivre trop longtemps à ses côtés. On sait que c'est une plaie pour la société. Mais on continue de la tolérer, de laisser les jeunes en griller une à l'école, de permettre aux fumeurs de partager leur boucane avec les autres au restaurant. Et on n'est même pas certain de vouloir interdire la cigarette au volant, d'éviter à des enfants captifs de respirer ce poison à pleins poumons...
Vous aurez deviné que je ne fume pas. Pour tout vous dire, depuis toujours, je ne comprends tout simplement pas. Je ne comprends pas l'intérêt de laisser de la fumée et des produits toxiques entrer volontairement dans ses poumons. Je ne comprends pas que ça puisse faire du bien, qu'on puisse penser que ça goûte bon, qu'on puisse se sentir pétant de santé après avoir répété ce geste 24 fois dans une journée. Je ne comprends pas qu'on ait envie de recommencer, qu'on se trouve mille excuses pour aller fumer, qu'on ne prenne pas tous les moyens possibles pour arrêter. Et je ne comprends pas que les écoles véhiculent le message que la cigarette peut être tolérée, même si des parents acceptent de voir leurs jeunes s'empoisonner.
Quand je vois quelqu'un fumer, je ne vois pas le plaisir que la cigarette peut lui procurer. Je vois la dépendance, l'obligation, l'esclavage. Je vois les effets nocifs, les dangers pour la santé. Et je suis vraiment contente de ne pas avoir cédé aux pressions des autres quand j'avais 14 ans. "Allez, prends-en une ! Tu vas voir, c'est cool..." Et c'était cool, effectivement. On avait l'air plutôt épais, les non-fumeurs, dans les années 80. On se faisait regarder de travers par ceux qui "l'avaient", par ceux qui se regroupaient dans le coin des gens hot pour en griller une. Mille fois, j'ai eu l'occasion de dire oui. Mille fois, j'ai refusé.
Je trouvais que c'était cool de fumer moi aussi. Ça donnait un genre, ça occupait les mains, ça permettait d'avoir l'air plus vieux, plus mature. Mais j'en avais contre le principe de respirer de la fumée. Sais pas trop pourquoi. J'ai résisté. Et mes amis d'alors ont fini par l'accepter. J'imagine que ça se passe encore un peu comme ça aujourd'hui. La pression s'exerce autour de nous et certains finissent pas céder pour défier les parents, pour faire partie du groupe, pour avoir l'air fort et dur. D'autant plus que les jeunes qui fument malgré les avertissements, malgré les photos répugnantes, malgré tout ce que l'on sait sur la dépendance de la cigarette doivent avoir l'air encore plus téméraire qu'il y a 20 ans. Jouer avec le danger, il n'y a rien de mieux quand on a 14 ans et qu'on veut se sentir vivant.
Chose certaine, ces jeunes verront bien assez vite que la témérité n'est plus à la page et que les fumeurs sont de moins en moins les bienvenus dans la société. Si le Québec traîne de la patte dans sa lutte contre le tabac, il suffit de se promener aux alentours pour se rendre compte que fumer n'est plus très tendance. Dans le Maine, le tabac n'est plus accepté dans les bars et les restaurants. Même les terrasses sont interdites aux fumeurs. On est loin des cours d'école et des permissions de parents... L'Ontario, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick sont aussi non-fumeurs, pour ne nommer que ces quelques exemples révélateurs. Alors, dites-moi, qu'est-ce qu'on attend ?
Même si j'ai l'air intolérante, comme ça, avec ma haine de la cigarette, j'ai dans le fond un brin de sympathie pour tous ceux qui sont prisonniers de la nicotine. Et qui doivent s'exiler sur le bord du trottoir pour assouvir leur insurmontable envie de fumer. Se geler le coco à - 40 degrés aux abords du boulevard Charest, ce n'est pas nécessairement ma définition du bonheur dans la vie. J'espère que le bien-être que leur procure la cigarette vaut le déplacement. Parce que vraiment, ça n'a pas l'air très gratifiant de regarder le trafic passer en grelottant au grand vent.
Je comprends que ces fumeurs doivent se sentir frustrés d'être ainsi écartés de la vie en société. Comme s'ils avaient la lèpre, comme s'ils étaient atteints d'un mal contagieux. Oui, ils font presque pitié. Mais en même temps, je me dis que je n'aurais pas envie de les faire entrer et de l'avoir dans la gorge, leur fumée. Qu'on le veuille ou non, ce sont les non-fumeurs qui sont devenus plus cool avec le temps. Un juste retour des choses pour tous ceux qui ont eu l'air niaiseux à 14 ans...
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Ces articles sont tirés du quotidien Le Soleil de Québec du 25 octobre 2004, page A8 et du 26 octobre 2004, page B3. l'infobourg a obtenu l'autorisation de le reproduire.
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