Ginette Lajoie, psychoéducatrice membre de l'OCCOPPQ, vient de publier un livre intitulé « L’école au masculin ». Cet essai, visant à proposer des solutions concrètes au problème de réussite scolaire des garçons, vient d’être publié par les Éditions Septembre. Il contribue à relancer le débat, toujours à la recherche de solutions efficaces.
Selon Mme Lajoie, l’école s’adapte facilement au comportement des filles et beaucoup moins à celui des garçons. Ces derniers ont plus de difficulté à évoluer dans un milieu typiquement féminin, et s’en désintéressent. Ils manquent de modèles masculins. Elle rappelle que les bousculades et chamailleries entre garçons ont toujours existé, mais qu’elles sont aujourd’hui trop souvent considérées comme des manifestations de délinquance ou d’hyperactivité.
« Comme enseignant, il importe de s’ouvrir, de comprendre et d’intervenir en fonction de la psychologie différente des garçons et des filles », croit Mme Lajoie. « Bien malgré nous, les stéréotypes survivent encore et les garçons, plus que les filles, s’y réfèrent pour construire leur identité et apprendre à devenir qui ils sont. »
« Personne n’est coupable, ni victime du système éducatif et social (voir page 14) dans lequel nous évoluons. C’est sous un angle de responsabilité collective à partager entre la famille, l’école et le réseau social qu’on pourra réduire l’écart de réussite scolaire entre les garçons et les filles. Pour ce faire, il ne s’agit pas de gros investissements financiers, mais d’une ouverture d’esprit dans laquelle on offrira un environnement pédagogique répondant aux besoins physiques, d’exploration et de découverte d’une majorité de garçons. »
« De la gestion de la discipline à celle des devoirs, en passant par les activités physiques et la formation des enseignants, dans sa mission, le milieu scolaire en général et le corps enseignant en particulier, homme ou femme, doivent tenir compte des différences entre les garçons et les filles pour que chacun et chacune s’y réalise dans son plein potentiel. »
Y a-t-il trop de femmes dans le corps enseignant?
La psychoéducatrice Ginette Lajoie parle beaucoup de l’importance de la présence de modèles masculins dans le développement des jeunes garçons. L’infobourg a voulu savoir si, selon certains intervenants, l’école devrait aller jusqu'à préconiser un nombre égal d'enseignants masculins et féminins.
Selon Ginette Lajoie, « la tentation de relier toutes les difficultés à l’absence des hommes est forte mais vaine. Un nombre égal d’enseignants et d’enseignantes demeure un beau rêve, un bel idéal à atteindre, mais la réalité est tout autre. Effectivement, il devient pressant de recruter des enseignants masculins. Cependant, pour y arriver nous devrons d’abord intéresser davantage les petits gars à l’école. De plus, pendant la formation des maîtres, si on continue de faire pression pour que les étudiants récitent de petites comptines et inventent des petits jeux, il ne faut pas s’étonner que la minorité d’hommes qui s’intéressent à l’enseignement décroche avant de compléter les quatre années d’études au baccalauréat en sciences de l’éducation. En éducation et en enseignement, les hommes retrouvent peu de place pour exprimer leur masculinité avec fierté. »
Mme Lajoie croit que ce qui importe, ce n’est pas le sexe des enseignants, mais plutôt l’habileté de ceux qui sont en place à appuyer, stimuler et valoriser chaque enfant, garçon et fille, dans leur façon d’être, de faire, d’apprendre et de socialiser. « On le sait, les garçons sont plus brouillons, préfèrent l’action et l’exploration, alors que les filles se réalisent dans la minutie, sont plus observatrices et attentives. Hommes enseignants ou femmes enseignantes, chacun et chacune peut ajuster ses pratiques pédagogiques de façon à répondre aux besoins de découverte des garçons, tout en continuant d’encourager les filles à être ce qu’elles sont. »
Comme l’indique un dossier paru à l’hiver 2002, dans Réseau, le magazine de l’Université du Québec, les femmes sont actuellement prépondérantes au sein du personnel enseignant des premiers cycles : elles représentaient 98,4 % du corps professoral au préscolaire en 1994-1995 et 84,4 % au primaire, en 1996-1997. Des facteurs économiques et sociaux expliquent sans doute le désengagement des hommes au primaire, selon Gérald Boutin, professeur titulaire en adaptation scolaire et sociale et directeur du Bureau de la formation pratique de l'UQAM, cité dans ce dossier.
Toujours selon le dossier du magazine Réseau, Pierre Potvin, du Laboratoire de recherche sur les jeunes en difficulté d'adaptation de l'UQTR, croit qu’il ne faut pas voir dans ce contexte un désavantage pour les garçons. « Sincèrement, je ne crois pas que le sexe des enseignants ait une influence sur les résultats scolaires, explique-t-il. Nos analyses sur les relations maîtres-élèves, effectuées à la fin du primaire et au secondaire, montrent clairement que les attitudes des enseignants, hommes ou femmes, sont les mêmes envers les enfants. »
D’un autre côté, M. Jean-Guy Lemery, directeur d’école à la retraite et conférencier, juge que l'école réussit bien aux filles, particulièrement au primaire, notamment parce que les enseignantes sont plus portées vers un style d'apprentissage qui favorise les habiletés langagières, des habiletés issues du côté gauche du cerveau, un côté plus développé chez les filles. Il a d'ailleurs écrit un livre à ce sujet, paru chez Chenelière-didactique, intitulé "Les garçons à l'école, une autre façon d'apprendre et de réussir". Dans cet ouvrage, il fait des liens entre les difficultés des garçons à l'école et la pédagogie dite traditionnelle.
Doit-on séparer les garçons et les filles à l’école?
Voici un extrait d’un article publié dans le quotidien Le Soleil, le 14 décembre 2002, dont l’Infobourg a eu l’autorisation de reproduction.
« Le retour à des écoles ou à des classes non mixtes, c'est une solution qui ne répond pas au besoin, affirme Pierrette Bouchard, membre du Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) et titulaire de la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. C'est une généralisation abusive. N'oublions pas que la majorité des garçons vont bien et qu'il y a aussi des filles qui ne réussissent pas... »
Avec son collègue Jean-Claude Saint-Amant, Mme Bouchard a démontré que plus les élèves s'identifient aux stéréotypes sexuels, plus ils ont de la difficulté à l'école. Les filles, qui sont capables de se dissocier davantage de ces modèles, se tirent bien d'affaires, mais les gars, qui associent des valeurs importantes telles la réussite et la persévérance comme étant féminines, donc qu’ils peuvent fuir ou ignorer, y parviennent moins bien.
Selon elle, les variables à considérer pour améliorer le sort des gars sont plutôt la motivation, le rôle des parents et l'impact du milieu culturel dans lequel ils évoluent. La chercheuse est convaincue que la séparation des sexes à l'école, qui a commencé à se faire aux États-Unis et en Angleterre, fait partie d'un mouvement de droite auquel il faut résister.
Pourtant, comme nous l’indiquions dans un précédent billet sur le sujet, certaines expériences de la sorte se sont montrées concluantes.
L’école primaire Aux Quatre-Vents, de Rivière-au-Renard, en Gaspésie, expérimente la séparation des sexes en 3e année depuis septembre 2002. Enseignants, parents et garçons n’ont que des éloges à faire sur ce projet qui se poursuit cette année pour une classe de 5e et 6e années.
L’école secondaire Jean-Jacques-Rousseau, à Boisbriand, le vit depuis deux ans à cause, à l’époque, d’une surpopulation de garçons en première secondaire. On s’est aperçu après deux ans que les garçons avaient moins peur d’exprimer leurs émotions ou de se faire ridiculiser.
L’approche orientante : une approche gagnante?
Actuellement, l'approche orientante s'implante lentement dans la réalité scolaire, et plusieurs projets d'entrepreneurship sont utilisés au Québec avec succès pour, entre autres, donner une chance à des élèves en difficulté. Mme Lajoie voit une avenue salutaire pour les garçons dans cette approche. « Les garçons se mettent aisément en action dans des démarches d’apprentissage concrètes et utiles pour le quotidien. Souvent, pour les garçons, l’école est un monde plate et abstrait. Pour eux, une expérience aussi simple que de planter des clous, souder des métaux, remplir des listes de réquisition de marchandises, etc., peut donner du sens à un contenu de mathématiques, de chimie et de français, etc. Il n’est pas rare qu’après une expérience de travail ou un stage en entreprise, ils conçoivent mieux le lien école-travail-réussite. »
En 1999, dans son rapport annuel, le Conseil supérieur de l’éducation livrait des recommandations visant à favoriser la réussite des garçons, dont l’un revêtait une importance toute particulière pour le sujet dont il est ici question : Tenir compte du besoin de donner un sens à sa situation scolaire. En effet, compte tenu que c’est au secondaire que les décisions qui engagent l’avenir doivent être prises par les jeunes, le Conseil souhaite que l’école devienne davantage « orientante ». Il recommande que les élèves disposent des informations nécessaires sur les différents métiers et professions, les possibilités d’emploi, les conditions de travail et les pré-requis. Fait intéressant, il invite aussi les milieux scolaires à faire mieux ressortir l’utilité concrète des apprentissages dans la vie de tous les jours.
Ce dernier point semble la clé du succès, selon Ginette Lajoie. « Les fondements de l’école orientante mettent l’emphase sur le processus de construction de l’identité de chaque jeune afin que, très tôt dans ses études, il associe ce qu’il apprend et ce qu’il fait à un usage futur dans la vie. C’est une façon efficace de préparer nos jeunes, garçons et filles, à leur plein rôle de citoyens et citoyennes responsables. Garçons et filles retirent de grands bénéfices d’une telle approche de formation, et ce, à tous les ordres d’études. »
Lectures complémentaires
L’école rose favorise-t-elle les filles? Un dossier du Magazine de l’Université du Québec.
Le Conseil supérieur de l’éducation faisait de l’écart de réussite entre les garçons et les filles sa problématique principale en 1999.
Le site de Ginette Lajoie, www.reussitescolaire.ca
Pour une meilleure réussite scolaire, un article de Ginette Lajoie.
Identités de sexe, conformisme social et rendement scolaire
Le livre « L’école au masculin », de Ginette Lajoie est disponible au coût de 18,95 $. Informations sur le site de Septembre Éditeur.
Le magazine Vie Pédagogique publiait, en avril-mai 2003, un grand dossier sur la réussite scolaire des garçons. On peut lire l'intégrale sur le site de Vie Pédagogique.
Par Audrey Miller, APP
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