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28 novembre 2007 |
Profession : enseignant |
Par Martine Rioux, APP |
Les enseignants naviguent constamment entre deux eaux : la tradition et l’innovation; la première étant très fortement ancrée dans l’éducation. Lentement, mais sûrement, ils sont néanmoins en voie de se défaire de ce carcan, de gagner en autonomie et de créer l’école de demain. |
« Il n’y a pas de profession enseignante au Québec », a laissé tomber d’emblée Robert Bisaillon, ancien sous-ministre de l’Éducation, désormais consultant en éducation, devant une assemblée de près de 1 000 enseignants du primaire, réunis à Montréal la semaine dernière dans le cadre du Congrès pédagogique de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants du primaire (AQEP).
« En apparence, l’acte d’enseigner a tout d’un acte professionnel : il demande des connaissances particulières, la relation maître-élève a un caractère personnel particulier, il est possible de créer un préjudice ou des dommages à un élève par manque de compétence, l’enseignant a accès à des renseignements confidentiels utiles à l’accomplissement de sa tâche. Le seul point où il y a glissement présentement, c’est au niveau de l’autonomie dont jouissent normalement les membres d’un ordre professionnel », précise M. Bisaillon.
« Actuellement, tout le monde vous dit quoi faire. Tous les maux de l’éducation sont de votre faute. La réforme de l’éducation a été réduite à des bulletins et des dictées par les médias. L’école n’a plus le droit à l’échec », poursuit-il.
Selon lui, les soubresauts actuels (principalement la critique intensive de la réforme) sont l’occasion rêvée pour les enseignants « de devenir des instituteurs dociles [dépendant du ministre de l’Éducation] ou de s’émanciper ».
En 27 ans, au Québec, il y a eu 15 ministres de l’Éducation différents, pour une moyenne de 1 an et 9 mois en poste chacun. « Cela dénote une inconsistance et une inconstance. Il est difficile pour un ministre d’établir un leadership dans ce contexte. Il est pris en otage par les différents groupes de pression », soutient M. Bisaillon.
Ce genre de contexte conduit à des situations comme celles vécues depuis quelques années, alors que la réforme de l’éducation « a été malmenée et mal menée », dit-il. De même qu’à d’autres situations, comme celle où la ministre, cet automne, a changé d’idée au gré « de l’opinion publique », affirmant par exemple que « les élèves sont mauvais en français, ramenons la dictée ».
M. Bisaillon se fait catégorique : « Les médecins ne toléreraient jamais de se faire dire par le ministre de la Santé comment remplir les ordonnances de leurs patients. Dans le même ordre d’idées, la pire chose à faire par les enseignants serait de montrer qu’ils sont esclaves de quelque chose ou de quelqu’un. »
Une leçon sur le passé
Malgré ce constat plutôt pessimiste, M. Bisaillon est néanmoins confiant que les enseignants pourront accéder à un véritable statut professionnel au cours des décennies à venir. « La profession se construit patiemment sur une très longue période », dit-il, avant de faire un retour en arrière très significatif.
Au début du siècle, l’institutrice devait respecter certaines règles d’ordre moral pour conserver son poste (ex : ne pas se marier, ne pas être vue en compagnie d’un homme autre que son père ou ses frères, etc.). Aucune compétence particulière n’était rattachée à la fonction. La formation offerte aux élèves était présentée dans un registre très strict. « À 9 h, le lundi matin, tous les élèves québécois faisaient une dictée. »
En 1943, pour contrer la sous-scolarisation de la population, une loi instaure la fréquentation scolaire obligatoire pour les jeunes âgés de 6 à 14 ans, soit jusqu’à la 10e année. Les instituteurs doivent avoir au moins une 11e année pour occuper cette fonction.
Les années 60 marquent l’organisation du système éducatif québécois : rapport Parent, constitution des commissions scolaires, création des cégeps, mise en place de l’Université du Québec visant à assurer la formation des maîtres , etc.
Puis, vers 1975, on entre dans l’ère du contrôle de la qualité. « Face à des résultats inégaux, surtout dans la maîtrise de l’écrit, on cherche à réformer l’enseignement et à uniformiser les façons d’évaluer ». Arrive alors le nouveau régime pédagogique de 1981, dont le but est d’améliorer la qualité de l’enseignement, qui a conduit à une certaine dictature du manuel scolaire.
« Malgré tout, on en arrive avec des statistiques désastreuses en termes de redoublement et de décrochage scolaire : 22 % des élèves doublent au moins une fois au primaire, 70 % de ceux-là n’iront pas plus loin que la troisième secondaire. Les États généraux de 95 et 96 mettront en évidence la nécessité de recentrer l’école sur elle-même, de nettoyer le programme de formation pour favoriser la réussite des élèves. »
Conclusion : « l’évolution dans le système éducatif est constante. » Les compétences et les connaissances à maîtriser pour enseigner se raffinent. « L’enseignant devient un véritable passeur culturel. Il est à la fois porteur, critique et interprète de savoirs qu’il a acquis et qu’il transmet à ses élèves. Il part de la culture acquise instinctivement par chacun de ses élèves dans son milieu natal et la transforme en culture sociétale. »
L’école de demain
L’école d’aujourd’hui n’est certainement pas l’école de demain, même s’il y aura toujours une part de tradition dans l’enseignement. « Par exemple, il y a certains savoirs, comme les chiffres et les lettres, qui doivent s’enseigner par des leçons, peu importe ce qu’on en dit. »
Pour le reste, selon M. Bisaillon, il appartient désormais à l’enseignant d’établir un équilibre entre le programme de formation qui lui est proposé par le ministère de l’Éducation et la situation réelle qu’il vit dans sa classe avec ses élèves. Il doit croire en la capacité de réussite de chacun de ses élèves et, en ce sens, il a intérêt à travailler en équipe avec ses collègues qui ont déjà accueilli ses mêmes élèves dans leur classe auparavant.
En conclusion, M. Bisaillon s’est dit convaincu que les enseignants accéderont un jour au statut de professionnel de l’enseignement. « Les éléments sont favorables à la reconnaissance de la profession. Voilà un bon cheval de bataille pour les syndicats liés à l’enseignement », a-t-il lancé, plus spécifiquement à l’attention de Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec qui se trouvait dans l’assistance.
Le Congrès pédagogique de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants du primaire (AQEP) s’est tenu à Montréal les 22 et 23 novembre 2007. Merci à l’organisation qui a accueilli l’infobourg.
Par Martine Rioux, APP
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